lundi 16 janvier 2012

Cpartak, ou la Russie version 2.0





J'aime le foot. Le foot c'est un ballon, des buts, du spectacle, Maradona, Pelé, Platoche, Zizou, Messi... C'est aussi un jambon-beurre au Parc, un Pastaga au Vel', des débats éméchés au Café du commerce, des arguments avec sa femme pour voir le match du dimanche soir. 
Du rêve quoi !
Mais le foot c'est surtout des millions et des millions d'amateurs à travers le monde, des mecs qui bossent le jour, s'entrainent le soir, jouent le week-end...


C'est pour cela que j'ai décidé de braver le froid russe pour rendre visite à un petit club de la banlieue moscovite. Loin des tribulations que connait actuellement l'Anzhi de Samuel Eto'o, le Cpartak a adopté une politique de recrutement tout autre. Reportage au coeur de ce club de 5ème division au pays des Tsars.




C'est après un long vol et une attente interminable de mon bagage à l'aéroport que j'arrive enfin à attraper un taxi, bien décidé à me rendre directement au centre d'entraînement du Cpartak. 
Exténué du voyage, je pense pouvoir m'en remettre à mon chauffeur au sourire bienveillant. Erreur. Dans un anglais approximatif, il tente de me dissuader de m'y rendre. "Nobody here, nobody here". Après 5 minutes d'échange douloureux, il s'avéra qu'il me parlait du Spartak Moscou, moi du Cpartak, une mésentente qui se répétera tout au long de mes rencontres avec les locaux.
Trois quarts d'heure plus tard, j'arrive enfin au centre d'entraînement, il fait froid, il fait nuit, les joueurs sont en short. Il est 17h.
J'apprendrai très vite qu'ici, on ne s'entraine pas le matin, alors que la température tutoie souvent les -10 degrés, mais bien en fin d'après midi.
Malgré la désolation qui semble régner dans cette banlieue proche de la capitale russe, le centre d'entrainement est très correct. 2 terrains synthétiques, 1 grand bâtiment séparé en deux étages, les bureaux au-dessus des vestiaires. L'éclairage des rectangles verts est si puissant qu'il m'aveugle presque. Indispensable ?
En attendant que quelqu'un m'accueille j'observe les joueurs, l'ambiance paraît joyeuse ; l'un d'eux attire mon attention, il semble avoir un volume capillaire exceptionnel, d'ailleurs ses cheveux paraissent argentés. Certainement l'éclairage...
Mais je suis interrompu par mon hôte, que je n'ai pas vu venir dans la nuit noire, le fondateur-président-joueur du Cpartak, M.Olirov. Il m'invite chaleureusement dans son bureau et me propose à boire, un café, moi qui m'attendais à quelque chose d'alcoolisé. Il faut dire que mon hôte est français ... Niveau dépaysement je suis servi.


A l'origine ingénieur en chimie nucléaire, M.Olirov avait décidé de rejoindre la Russie il y a de ça 5 ans, la faute au "manque d'ambition dans les tests grandeur nature en France" m'explique-t-il. Mais finalement, il n'avait jamais été autorisé a réaliser son projet, la bombe S, qui nécessitait plusieurs atomisations de la Sibérie pour être développée. Il était donc revenu à son premier amour, le football.
"Lorsque j'ai fondé le Cpartak", me dit-il, "je voulais recruter en Russie, mais les problèmes de drogues et d'alcools sont légion chez les joueurs qui ne sont pas en Premier-Liga (la Ligue 1 Russe, ndlr.), alors j'ai décidé de faire venir des joueurs français". Le natif de Clermont est un homme ambitieux, selon toute vraisemblance, puisqu'il enchaine ainsi : "notre objectif est de monter en première division d'ici 5 ans, je sais que ça représente une montée par saison, mais je crois en ce groupe." Une heure plus tard, alors que le Président tentait de m'expliciter les tenants et les aboutissants d'un nouvel atome qui pourrait être inoculé aux joueurs pour les rendre plus rapides, je décidais de prendre congé et découvrais mon hôtel, ou plutôt mon lit, sur lequel je m'endormis aussitôt.


Le lendemain matin j'avais rendez-vous avec plusieurs joueurs du club, ceux qui ne travaillaient pas. Arrivé devant la salle polyvalente je fais connaissance avec un homme imposant copieusement barbu. Surement un défenseur me dis-je. "Bonjour !" me lance-t-il avec un chaleureux accent qui ne pouvait venir que d'Alsace. Nous entamons la discussion.
- "Depuis quand êtes-vous au Cpartak ?" 
- "Ca fait 6 mois maintenant, et je suis déjà titulaire !"
- "Il faut dire que le groupe ne compte que 13 joueurs..."
- "C'est vrai, mais au milieu de terrain, les places sont chères."
Le Cpartak évolue la plupart du temps en 5-3-2.
- "L'entraineur vous fait donc confiance !"
- "A vrai dire il n'y a pas d'entraîneur proprement dit, au même titre que le Président a été joueur, les joueurs s'auto-disciplinent, nous choisissons collégialement les postes des uns et des autres avant chaque match."
- "Pourquoi le Président ne joue-t-il plus avec vous ?"
- "Et bien... disons que... Enfin il n'est plus tout jeune quoi ! Et puis..."
Nous sommes interrompus par d'autres joueurs qui entrent dans la salle. Les présentations faites ils s'installent autour de la table. Le grand chevelu que j'avais remarqué la veille prend la parole :
- "No rage please"
Je décidais de ne pas prêter attention à sa remarque mystérieuse et observais les individus qui m'entouraient. Ils semblaient venir de différents horizons sociaux, géographiques... En effet, c'était un vrai melting-pot hexagonal : Reims, Paris (la ville pas le club), Nancy (oui, oui, le club), Toulouse, Grenoble. Il y avait un belge aussi.
Comme la veille, à l'entrainement, l'ambiance était très vite devenue joyeuse, et j'abandonnais rapidement mon envie de connaitre les raisons du raccrochage de crampon (de l'éviction ?) du Président.
- "Ce n'est pas tout les jours comme ça", me confiais l'un d'eux, "surtout les soirs de défaites..."
- "Et cette histoire d'entraîneur ?" demandai-je.
- "On n'en parle pas trop vous savez, de tout manière c'est inutile, on ne veut pas créer la zizanie, on a déjà du mal à être 11 à chaque rencontre..."


Je me rendis rapidement compte que derrière cette atmosphère légère, le moral des troupes était fragile et la stabilité du club relative. Les récentes bonnes performances de l'équipe avaient renvoyé certains démons à leurs grottes ; pour autant, une période plus difficile attendait le Cpartak.
Lors des 3 jours que j'ai passé avec eux, le club a subi une défaite cuisante, signe, peut-être, que tout n'était pas réglé.


Aujourd'hui, les "frenchies" de Russie ne semblent pas perdre espoir, et si certains loupent quelques matchs à la faveur d'une team de paintball locale - une mode venue de l'Oural et qui fait fureur dans la capitale - ce n'est que pour mieux revenir.


Reste à savoir si l'avenir financier du club sera assuré. En effet, au moment ou j'écris, le Président parle de se retirer complètement du club, "pour reprendre une team de paintball en vogue" évoque-t-il dans un soupir las.


J'aime le foot, que ce soit en Champion's League, en Ligue 1 ou encore en 5ème division russe. Etre parti en Russie pour aller à la rencontre du football n'est pas forcément une idée, à première vue, des plus pertinentes. Mais ces joueurs sont des passionnés de ballon, et c'est ce qui compte. Un état d'esprit solide, une envie de prendre du plaisir en jouant au foot. Ils joueraient sur Playstation que ça ne changerait rien. Car c'est la tête qui compte.


Cette même tête que nombre de joueurs a perdu, en montant de division.

1 commentaire:

  1. Les étoiles ne s'oublient pas. Mais les légendes ,elles, ne meurent jamais.

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